Santé

Astrid Chevance reçoit le Prix jeunes talents 2020 l’Oréal-Unesco pour les femmes et la science

La spécialiste de la psychiatrie s'est vu décerner le prestigieux Prix Jeunes Talents L’Oréal-Unesco pour les femmes et la science pour son travail sur la prise en charge de la dépression : une belle reconnaissance pour cette Boulonnaise de 34 ans.

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Boulonnaise depuis 2010, 34 ans, doctorante à l’université de Paris, le Dr Astrid Chevance, psychiatre, vient de se voir décerner, jeudi 1er octobre, le prestigieux Prix Jeunes Talents L’Oréal-Unesco pour les femmes et la science. Cette distinction récompense son étude, financée par la Fondation pour la recherche médicale et publiée dans la revue britannique The Lancet Psy­chiatryLe jury de sélection est composé de membres éminents de l’Académie des sciences.  Ce travail met en lumière une façon no­vatrice, car participative, d’aborder la prise en charge de la dépression. Les professionnels de santé mais aussi des patients et leurs proches ont ainsi été invités à s’exprimer en France et dans le monde entier. Objectif : mieux identifier, à travers ces témoignages, les attentes des personnes ayant vécu des troubles dépressifs. 

Cette distinction tombe à point nommée alors que débute, à Boulogne-Billancourt, la semaine d’information sur la santé mentale dans une Ville où a été créé, en 2017, un conseil local de la santé mentale (CLSM). Heureuse coïncidence, commence au même moment l’exposition Arts et Sciences, elles ont changé nos vies, à l’espace Landowski.  Félicitations !

BBI. : Que représente ce prix pour une jeune chercheuse ?

Astrid Chevance : Il s’agit d’une récompense certes financière mais surtout hautement symbolique. Être chercheur et chercheuse, c’est aussi être extrêmement seul(e) dans un milieu ultra compétitif où, pour avoir des financements et continuer à travailler, il faut publier dans de bonnes revues scientifiques, ce qui arrive rarement. Ce prix très important me donne le courage de continuer et de persévérer.

BBI. : Vous avez mené une étude d’un genre nouveau sur le thème de la dépression, interrogé par entretiens classiques, et via internet, plus de 1900 patients en France et dans le monde, mais aussi des centaines d’aidants et de professionnels de santé. Dans quel but ?

A. C : Il s’agissait, pour résumer, de répondre à la question : qu’est-il important, selon vous, de soigner dans la dépression? Nous nous inscrivons ici dans une démarche de sciences participatives qui restent encore marginales dans le domaine clinique, même si nous développons des initiatives comme la e-cohorte ComPaRe, qui recrute des personnes vivant avec une maladie chronique. Or, souvent, l’intérêt intellectuel du chercheur ne converge pas avec les besoins des patients. Par ailleurs, les proches des personnes en dépression sont des informateurs très importants car se percevoir, quand on est soi-même malade, s’avère particulièrement difficile. Cela nous a permis de mettre en lumière environ 80 domaines d’intervention thérapeutiques comme la tristesse, la fatigue, la douleur morale, par exemple, qui peuvent être solutionnés par un traitement. D’autres, comme le fait de souffrir de la stigmatisation de ces maladies dans la société, un thème qui revient souvent, nécessitent des interventions à l’échelle sociétale.

BBI. : Vous parlez de double peine…

A. C. : Les personnes déprimées subissent une souffrance psychique intense d’autant plus grande que cette maladie est invisible socialement et physiquement. La société nous dit que «  vouloir, c’est pouvoir, il suffit d’être motivé  » et si vous souffrez d’un trouble de motivation… vous vous auto-accusez. La boucle est bouclée. Avec la fondation Pierre Denicker, nous avons également abordé ce sujet dans le court-métrage  Et toi ça va ? que j’ai eu le plaisir de co-scénariser. La dépression touche une personne sur cinq au cours de sa vie, elle fait beaucoup de dégâts. On peut regretter que l’accès à des professionnels de santé mentale soit encore aujourd’hui trop retardé. On voit parfois arriver des patients qui errent depuis deux ou trois ans sans solution. Le cerveau est un organe lent et très fragile, qui va mettre longtemps à se dégrader. Si l’on souffre d’une grave dépression depuis plusieurs années, il est clair qu’on ne va pas s’en sortir en deux mois. Il vaut mieux stopper le processus très tôt, quel que soit le traitement envisagé (psychothérapie, médicament, etc.). La création de conseils locaux de la santé mentale, comme à Boulogne-Billancourt, est, en ce sens, positive. Un CLSM permet d’inscrire la santé mentale au cœur de la cité pour coordonner les différents acteurs (médicaux, sociaux, éducatifs), mener des démarches de prévention, de communication, améliorer l’accès aux soins et leur qualité.

BBI. : Le prix vous permettra de suivre aussi des séances de média-training, de «  leadership féminin  », un apport nécessaire dans un univers encore assez masculin ?

A. C : Faire son chemin dans un univers très masculin ne s’apprend pas à l’école. En octobre, avec des femmes médecins, universitaires, hospitalières, nous allons participer à une campagne avec l’association Donner des ELLES à la santé. Dans le secteur des sciences, une fois que l’on a fait ses preuves, cela va à peu près, on subit, si j’ose dire, un sexisme ordinaire. Le secteur de la médecine reste beaucoup plus misogyne. C’est comme si, la profession se féminisant, certains hommes se sentaient fragilisés et se raidissaient sur leurs positions de pouvoir. Reste que les hommes de ma génération sont plus dans le partage. Eux aussi veulent voir leurs enfants grandir et participer à leur éducation, et reconnaissent plus facilement en les femmes des égales.

BBI. : L’épidémie de Covid-19 a-t-elle des incidences sur le psychisme des Français ?

A. C. : Dès mars, nous avons publié un article dans la revue des psychiatres sur cette question (Assurer les soins aux patients souffrant de troubles psychiques en France pendant l’épidémie à SARS-CoV-2). Au cœur de la crise, j’ai été mobilisée en tant qu’épidémiologiste au sein de mon laboratoire de recherche pour participer à la métaanalyse en réseau «  vivante  » comparant tous les traitements de la Covid-19. C’était un travail considérable, car nous l’actualisions chaque jour. J’ai aussi participé comme psychiatre à la cellule d’urgence médicopsychologique de Paris pour des téléconsultations. La crise économique annoncée est également un facteur de risque. Notre profession a beaucoup communiqué pendant cette période sur les risques psychosociaux liés à la pandémie, au confinement, au déconfinement et à la crise économique à venir, et sur les problématiques propres aux patients de la psychiatrie, ce qui a permis, un mal pour un bien, d’évoquer les troubles psychiques de façon décomplexée. 

Pour en savoir plus :
Consultez l'article "Dépression : une étude pour mieux identifier les attentes des malades et de leurs proches" 

«  Boulogne-Billancourt, une ville pensée pour les enfants  »

Formée de la 6e au bac au sein du collège-lycée franco-allemand de Buc – elle a grandi à Vélizy –, Astrid Chevance présente un CV aussi brillant qu’atypique où les sciences humaines, la maîtrise des langues étrangères (allemand, anglais, russe), le partagent aux sciences dites «  exactes  ». Après une prépa BL au lycée Lakanal, elle entre à l’Ecole normale supérieure de la rue d’Ulm avant d’être reçue à l’agrégation d’histoire. Puis, elle intègre la troisième année de médecine par une filière passerelle. Astrid Chevance a rêvé très tôt de devenir psychiatre : c’est chose faite. Elle s’installe en 2010, en colocation, rue du Château, pour être externe à Ambroise-Paré, où elle rencontre son époux, qui y exerçait comme cardiologue. Mariée à l’hôtel de ville, maman de deux enfants (un fils en petite section de maternelle, une fille en CE1, tous deux au groupe scolaire J.-B. Clément), elle se félicite de vivre à Boulogne-Billancourt.

«  Il y a ici des écoles formidables, une assistante maternelle qui fait partie de la famille... C’est une ville vraiment pensée pour les enfants. Pendant les vacances scolaires, il y a une grande offre d’activités, que mes enfants adorent. Ma fille a aussi suivi le COOM au conservatoire. Nous adorons le jardin Albert-Kahn et les squares ne manquent pas pour aller jouer.  »