Environnement, International

Grand succès pour la première expédition scientifique de Greenlandia au Groenland

Couronnée de succès, la première expédition scientifique de Greenlandia au Groenland va permettre de mieux comprendre les causes et conséquences des changements climatiques

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Soutenue par la Ville et la SCIC Boulogne-Billancourt Sport Développement, l’initiative climatique Greenlandia a mené, en août, sa première expédition maritime scientifique et documentaire dans le fjord Scoresby, à l’est du Groenland, "sur les traces" du commandant Charcot. Comptant parmi les parrains de la Maison de la Planète, le Boulonnais Vincent Hilaire, directeur de Greenlandia, est impatient de partager prochainement cette expérience, couronnée de succès, avec les Boulonnais.

Comment interroger le passé et le présent pour mieux comprendre de quoi demain sera fait ? C’est notamment parce qu’il y a urgence à contrecarrer les dérèglements climatiques – conséquences de l’activité humaine – que le Boulonnais Vincent Hilaire a créé Greenlandia, il y a sept ans. Le port d’attache de l’ancien journaliste baroudeur s’est fixé à Ittoqqortoormitt, un village groenlandais isolé de 350 habitants, à 800 kilomètres de toute activité humaine. Avec le temps, et le respect mutuel, se sont créés des liens forts et durables (cf BBI mai 2021). Après plusieurs séjours, puis une crise sanitaire qui a tout stoppé, Greenlandia a enfin pu organiser, en août, sa première expédition d’envergure parrainée par Anne Manipoud-Charcot, arrière-petite-fille du légendaire explorateur. Pour la communauté scientifique, le Muséum national d’histoire naturelle et le Greenland Institute of Natural Resources, les résultats obtenus dépassent toutes les espérances (cf le journal Le Monde du 14 septembre). À bord du Kamak, voilier polaire, l’équipe s’est attachée à retourner aux endroits explorés par Jean-Baptiste Charcot en 1925. Sur le plan géologique, en mer (12 stations maritimes) comme sur terre (2 jours de prélèvements), 21 kilos de roches au total ont été rapportées en France et mises à la disposition des chercheurs. Les résultats des investigations seront bien entendu partagés avec leurs homologues groenlandais. "Les géologues nous ont parlé d’un véritable jackpot, c’est extraordinaire, sourit Vincent Hilaire. Il est désormais possible de comparer les roches actuelles et les organismes qu’elles abritent avec celles rapportées par Charcot il y a un siècle." Et ainsi de mieux comprendre, grâce à cette "climato-paléontologie", comment le fjord s’est transformé. Le second volet de l’expédition, océanographique et biologique (16 stations de collecte), a permis de prélever 85 larves de 4 espèces différentes, jusqu’à 60 mètres de profondeur. Il s’agit là de commencer un état des lieux d’un maillon essentiel de la chaîne alimentaire, la morue polaire, dont la disparition ou la migration pourraient menacer, à terme, la communauté locale.

À BOULOGNE-BILLANCOURT, DES INTERVENTIONS AUPRÈS DES SCOLAIRES ET UN PROJET DE JUMELAGE AVEC LES JEUNES GROENLANDAIS D’ITTOQQORTOORMITT

Scientifique et documentaire, l’initiative Greenlandia comporte un important volet pédagogique qui nous ramène à Boulogne-Billancourt et à la Maison de la Planète. Un calendrier d’interventions périscolaires a été élaboré avec une première présentation le 21 septembre.

C’est une idée formidable d’avoir ouvert cette maison, poursuit l’explorateur boulonnais, j’ai hâte de partager nos expériences avec les Boulonnais, et notamment les plus jeunes.

Fidèle à sa démarche, Greenlandia rapproche aussi les humains. Ainsi, une classe de 4e de Chartres-de-Bretagne, près de Rennes, a scellé un jumelage avec les jeunes Groenlandais et leur a même rendu visite. Une démarche similaire est en cours d’élaboration à Boulogne-Billancourt, qu’il s’agisse d’une "classe ambassadrice" ou "d’une délégation d’éco-délégués". Au printemps 2023, si tout se passe comme prévu, les jeunes représentants d’Ittoqqortoormitt découvriront… la Bretagne.

Nous allons tout faire pour que la délégation groenlandaise fasse une halte à Boulogne-Billancourt, conclut Vincent Hilaire. Ce serait génial

INTERVIEW

BBI : Comment sont vécus les dérèglements climatiques dans cette partie du globe ?

Vincent Hilaire : On a toujours des surprises quand on va "là-haut" sur ce à quoi on peut s’attendre en termes de températures "normales" et ce qu’on l’on constate. Mais la période 2021-2022, catastrophique, pourrait constituer une référence en matière de dérèglements climatiques et leurs conséquences visibles. Dans ce fjord, le record de température, +24 degrés !, a été battu en juillet 2021, du jamais vu par 70 degrés nord sur la côte est du Groenland. La banquise ne s’est reformée tardivement qu’à partir de fin janvier, début février 2022. Et peu de temps après, on a basculé jusqu’à -31 degrés. Cette amplitude entre l’été et l’hiver ne s’était jamais produite, selon les stations météorologiques locales et les habitants. La banquise s’est reconstituée mais de façon très épaisse, sur 60 à 70 cm.

BBI : Quelles sont les conséquences sur place ?

Vincent Hilaire : Pour les humains, ne plus avoir de banquise pendant des mois équivaut à mettre à mal la vie et les traditions locales, à commencer par la chasse avec traîneaux et chiens, assurée notamment par des chasseurs professionnels qui sont soumis à des quotas stricts. 70% des protéines fraîches permettant de nourrir les hommes et les chiens proviennent de la chasse. La chasse au phoque, fournissant la base de l’alimentation, n’est en revanche pas soumise à quotas. Et à Ittoqqortoormitt, on compte environ 350 chiens, soit un par habitant. Mais, en l’absence de glace, il devient extrêmement difficile de chasser, donc de se nourrir, car les phoques sont plus difficilement accessibles en eau libre. D’une façon générale, on observe désormais un effondrement potentiel de la faune et de la macro-faune (ours, narvals, phoques). La morue polaire, qui est au centre de la chaîne alimentaire, est remontée plus au nord, acculée par le réchauffement des eaux. L’étude des 53 larves de morues polaires que nous avons prélevées permettra de suivre son adaptation à ce milieu en mutation et de comprendre comment elle va pouvoir s’adapter… ou pas.

 

Interview et article par Christophe Driancourt, rédacteur en chef du Boulogne-Billancourt Information