Gulbahar Haitiwaji; Ouighours; Boulogne-Billancourt

Solidarité

Gulbahar Haitiwaji, Boulonnaise rescapée des camps chinois

D'origine ouïghoure, Gulbahar Haitiwaji vivait à Boulogne-Billancourt depuis dix ans quand, en 2016, lors d'une convocation administrative en Chine, elle a été arrêtée et déportée dans des camps de "rééducation". Pendant trois ans, elle subira interrogatoires, tortures et lavage de cerveau. Libérée grâce à sa fille et au Quai d'Orsay en 2019, elle publie son récit pour aider les Ouïghours.

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BBI : Quand êtes-vous arrivée en France ? 

Je suis arrivée à Boulogne-Billancourt avec mes filles en 2006 pour rejoindre Kerim, mon mari. Il avait quitté la Chine en 2002 pour le Kazakhstan, la Norvège, puis la France où il a demandé et obtenu l'asile en 2006.

BBI : Pourquoi avoir quitté le Winjiang en Chine ? 

Les Ouïghours subissent des discriminations permanentes. Contrôles de police, interrogatoires, intimidations et menaces sont quotidiens. Mon mari Kerim ne le supportait plus alors que, de mon côté, j'étais très réservée et discrète. Je n'ai jamais fait de politique.

BBI : Quelles ont été vos premières impressions sur Boulogne-Billancourt ? 

C'est une ville paisible, très propre. J'ai vite trouvé de nombreuses occupations : aller à la piscine, faire des courses au marché Billancourt, pratiquer du sport et me balader au parc de Billancourt. J'ai travaillé en restauration collective puis dans une boulangerie, rue du Point-du-Jour. Mes filles Gulhumar et Gulnigar aimaient aller à la patinoire et faire les boutiques du centre-ville. Elles fréquentaient le collège Jacqueline-Auriol puis le lycée Jacques-Prévert. Et Kerim avait trouvé un emploi de chauffeur de tourisme. 

BBI : Tout allait donc bien. Que se passe-t-il en 2016 ? 

Ma vie a basculé. Celle de ma famille également. Un appel de mon ancien employeur m'a obligé à retourner à l'usine pétrolière située à Karamay, où j'étais ingénieure, pour y signer un papier concernant ma retraite. Je n'avais jamais eu de problème avec la justice chinoise ! Je ne me suis donc pas méfiée. 

BBI : Pourquoi avez-vous été emprisonnée ? 

Au début, j'ai cru que c'était une erreur. Mais quand j'ai vu toutes les autres prisonnières, je n'ai eu aucun doute. Nous étions toutes ouïgoures. J'ai été accusée de terrorisme, mais rien n'était vrai, évidemment. Après un simulacre de procès, j'ai été condamnée pour sept ans.

BBI : Comment garder espoir ?

Pendant trois ans, j'ai subi des punitions et des sévices quotidiens. Les gardiens nous insultaient sans cesse. Après la maison d'arrêt, j'ai été déportée en camp de rééducation. Mais j'étais persuadée qu'ils allaient me libérer, puisque j'étais innocente. J'ai toujours gardé cet espoir. Dans mes songes, je me voyais dans ma cuisine à Boulogne-Billancourt, en train de préparer le repas. Ces pensées positives m'ont aidée à tenir. 

BBI : Après votre libération, vous décidez de publier votre témoignage...

Dès les retrouvailles avec ma famille, je n'arrêtais pas de leur raconter tout ce que j'avais vécu. Avec ma fille Gulhumar, très active pour ma libération, et la journaliste Rozenn Morgat, qui l'a soutenue dans ses démarches, nous avons décidé d'écrire un livre. C'était comme une obligation.

BBI : Le livre a eu un fort retentissement.

Oui, dès sa sortie, j''ai reçu plus de 50 demandes d'interview de France 2, Le Monde, Le Figaro, Arte, l'Obs... Je ne m'attendais pas à tant de sollicitations. J'espère que mon livre sera utile à tous les Ouïghours et permettra de fermer les camps. 

Propos recueillis par Jean-Sébastien Favard.