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Hommage à Jean-Claude Carrière : le conteur à Boulogne-Billancourt

Scénariste, adaptateur, auteur de théâtre, de romans, de nouvelles, d’essais, Jean-Claude Carrière aligne les étiquettes. Celle qu’il préférait : conteur. Il fut en 2014 président d'honneur du Salon du Livre de Boulogne-Billancourt, où il avait fait ses premiers pas professionnels. Souvenir d'une très belle rencontre.

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Scénariste, collaborateur privilégié de Luis Buñuel, Jacques Tati, Louis Malle ou Andrezj Wadja, auteur de multiples écrits, adaptateur pour le cinéma d'Edmond Rostand, Marcel Proust, Jean Giono et Françoise Sagan… Jean-Claude Carrière nous a quittés le 8 février dernier.

Il nous avait fait l'honneur de présider le Salon du livre de Boulogne-Billancourt les 6 et 7 décembre 2014. Il y avait signé ses livres, dont le plus récent, L’argent, sa vie, sa mort, mais aussi La Controverse de ValladolidLe Dictionnaire de la bêtise, et y avait rencontré le public après la projection du film Syngué Sabour, Pierre de patience, qu’il avait adapté pour le cinéma du livre éponyme, Prix Goncourt 2008.

Pour vous, c’est un retour à Boulogne-Billancourt ?

Boulogne, c’est le cinéma ! J’y ai fait les premiers essais de ma carrière avec Pierre Etaix en 1958 ou 1959. Tous les Buñuel ont été tournés ici. J’ai beaucoup travaillé dans les studios de la ville et venais souvent voir mon ami Jacques Deray, qui y vivait.

Vous présentez votre dernier ouvrage sur l’argent. Essai un peu pamphlet, enquête fouillée…

J’ai une formation d’historien, fait des études d’économie. Jusqu’en 2008 je suivais l’histoire économique. Et puis là, j’ai calé. Largué. Comment un état peut faire faillite ? Le meilleur moyen de comprendre, c’est d’écrire dessus. J’ai donc choisi l’argent, en dramaturge, comme un personnage sans sexe défini, intelligent, attachant. Quel a été son comportement dans les grands moments de l’histoire ? Comment accepte-t-il sa mort programmée. Car, à force d’être virtuel, il est probablement condamné.

Pourquoi avoir choisi Syngué Sabour pour cette rencontre cinématographique avec les Boulonnais ?

L’auteur, Atiq Rahimi, est un ami de longue date. C’était passionnant et difficile de passer d’un roman écrit en français à un film en dari, la langue originelle afghane. Ensuite, il s’agissait de construire un film d’action immobile. C’est un huis clos autour de la parole d’une femme, où l’on devine l’Afghanistan en guerre. Le travail que fait l’actrice Golshifteh Farahani est magnifique. Le film a été vendu dans 28 pays.

Le cinéma a une syntaxe à part qu’il faut connaître. Proust disait : "Tout grand auteur écrit dans une langue inconnue". Tout grand cinéaste aussi. Si on est trop "fidèle", le film sera un livre illustré, il n’aura pas son autonomie.

Comment choisissez-vous les œuvres que vous adaptez à l’écran ?

Ce peut-être une demande d’un producteur ou d’un metteur en scène, qui arrive avec un livre. Ce qui me décide, c’est le sentiment d’être utile, et bien sûr l’existence dans le livre de "scènes". certains livres sont inadaptables. D’autres paraissent difficiles, comme L’Insoutenable légèreté de l’être, pour lequel on me disait que c’était trop "philosophique". Moi, je voyais des scènes et des personnages possibles. Kundera a validé le travail et même fait des suggestions qui sont dans le film. C’est la même histoire, mais avec les armes du cinéma.

Adapter une pièce culte comme Cyrano de Bergerac, c’est une gageure ?

Il y avait Depardieu dès le départ, c’était un package ! (rires) On a demandé à Gérard de faire une cassette audio chez lui en jouant tous les rôles. Le but était de voir comment un grand acteur approchait le personnage. Lui, c’est un corps gigantesque et une voix fragile, vulnérable… Quand on a écouté, on a entendu la voix d’un homme, Cyrano, qui a peur des femmes. Nous avons exploré la piste et laissé de côté le fanfaron. Et ça a donné le plus gros succès français de toute l’histoire, battu seulement depuis par Amélie Poulain ! Personne ne s’est offusqué – pas même les "rostandiens" qualifiés, que nous ayons rajouté des scènes pour lesquelles j’ai écrit 150 alexandrins.

Justement, quelle peut ou doit être la fidélité au texte initial ?

Ça n’a pas de sens. Il faut juste faire un bon film. Le cinéma a une syntaxe à part qu’il faut connaître. Proust disait : "tout grand auteur écrit dans une langue inconnue". Tout grand cinéaste aussi. Si on est trop "fidèle", le film sera un livre illustré, il n’aura pas son autonomie. C’est une autre œuvre. Depuis qu’il existe, le cinéma mérite d’être considéré comme un moyen d’expression indépendant. Il a d’ailleurs un langage qui n’a cessé d’évoluer. Dans les années 1930, vous voyiez un récit avec plein de scènes intermédiaires. Aujourd’hui, vous êtes directement dans l’action.

Vous avez écrit en 2009 un livre cosigné avec Umberto Eco, N’espérez pas vous débarrasser des livres. Comment est-il né ?

C’est un livre d’entretiens qui a réuni deux vieux amis et deux bibliophiles… Le vrai problème, ce n’est pas la disparition du livre mais de la lecture. Ce qui n’est plus le cas. Sur Internet, on lit, et s’y crée un nouvel alphabet. Peut-être que le livre en papier peut disparaître, ou du moins prendre une autre forme.  Encore que… regardez les livres anciens : ils n’ont jamais eu autant la cote !

Des projets ?

Plein, je n’arrête pas ! L’adaptation d’une pièces d’O’Neill, plusieurs films. Des jeunes metteurs en scène, comme Jean-François Richet ou d’autres viennent me voir. Ça m’étonne toujours….