Franck Horvat ©Jonas Cueni
Franck Horvat ©Jonas Cueni

Culture, Arts, Photo

La fille de Frank Horvat présente le studio de son père

Le studio légendaire de Frank Horvat, le grand poète de l’image disparu le 21 octobre 2020, contient un demi-siècle de souvenirs et d’art à Boulogne-Billancourt. Sa fille, Fiammetta, souhaite le transformer en lieu d’accueil de la photographie contemporaine, dans une ville où elle a vécu une enfance heureuse.

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Un grand photographe italien est mort le 21 octobre à Boulogne-Billancourt, et cela pourrait être le début d’une nouvelle histoire. Frank Horvat avait 92 ans.

Visitez le studio de Frank Horvat avec sa fille Fiammetta le mercredi 10 février 2021

Quand il vit le jour en 1928 dans une petite ville italienne, Abbazia, cela faisait un an que l’aviateur Lindbergh avait franchi l’Atlantique. Frank Horvat fut de ces voyageurs au long cours qui parcoururent le monde avec des malles anglaises, à bord de paquebots, et "armés" du plus efficace outil de l’époque : le Leica. En 2007, la grande exposition que lui consacra l’espace Landowski dévoila au public boulonnais ses magnifiques images captées en Inde et à Londres pendant les années 1950, de superbes portraits de femmes, une traversée de New York enneigée, jusqu’à son bestiaire (singes, éléphants…), qui firent aussi sa réputation. Le temps établira sa place dans le panthéon des grands photographes du XXsiècle : Robert Doisneau, Henri Cartier-Bresson, Willy Ronis, Richard Avedon…

Au début des années 1970, il se consacra à la mode, mais cet autre domaine où il étincela demandait une logistique, une organisation moins nomade, un lieu. Il repéra un très beau terrain à Boulogne-Billancourt, rue de l’Ancienne-Mairie, et décida d’y bâtir le studio de ses rêves dans un hangar à patates. Il y resterait un demi-siècle, recevant directeurs de musée et artistes du monde entier. Une petite fille ne manqua rien du spectacle : Fiammetta, âgée de 6 ou 7 ans, très admirative de ce père inspiré. "Je croisais beaucoup de  mannequins, se rappelle-t-elle. Des camions  déchargeaient des morceaux de décor, des habits  incroyables. Cette jolie parade défilait dans notre  cour. Je regardais les robes, les bijoux, les yeux  émerveillés. J’en profitais, car les maquilleurs et les coiffeurs s’ennuyaient, et s’occupaient en me faisant des boucles". 

Frank Horvat arrêta la mode vers 1985, mais l’oeuvre continua, et dans son studio magique, il accumula souvenirs, archives, un travail considérable sur la ville où il se promenait, appareil en main, à la recherche de ce que Fiammetta appelle une "jolie mélancolie", qu’il trouva à Boulogne-Billancourt, le long du quai Alphonse Le Gallo ou au détour d’un bosquet royal rue de la France-Mutualiste. "Pourtant, il sortait peu. Il ne faisait jamais les courses. Je crois qu’il n’a  jamais ouvert un frigo de sa vie, plaisante-t-elle avec une infinie tendresse. Mais quand il mettait le nez dehors, je l’accompagnais parfois. Nous allions visiter le square Léon Blum, à côté, j’adorais… Nous observions la fontaine avec cette sculpture de Bacchus en céramique datant de 1920 dont le visage souriant, couronné de raisins, m’effrayait. Mais lui appréciait son étrangeté. Nous y sommes retournés récemment. Frank aimait bien ce côté mystérieux de  Boulogne-Billancourt."

Penser à l'avenir

Fiammetta aimait les virées au parc de Saint-Cloud et à la patinoire et, peut-être plus que tout encore, l’école privée Dupanloup, avenue Robert-Schuman, avec son architecture classique, où elle passa sa scolarité. "Ma mère l’avait choisie parce qu’elle la trouvait ravissante. C’était en face de Roland-Garros. Nous apercevions les petites balles jaunes qui volaient presque au-dessus de nos têtes." Une vie guidée par l’esthétique.

Fiammetta ne pouvait que devenir artiste elle-même, et elle le fut, modèle pour son père d’abord. On peut voir ce touchant portrait d’elle enceinte. "Nous nous sommes mis assez vite d’accord. Il n’était pas très pudique, moi non plus", s’amuse-t-elle. Designer, scénographe, elle a longtemps travaillé dans le studio paternel avant de se consacrer à la préservation du patrimoine de Frank. Elle a aujourd’hui 42 ans, et c’est donc pour toutes ces belles réminiscences et promenades à Boulogne-Billancourt, qui sont encore les siennes aujourd’hui, qu’elle nourrit un ambitieux projet pour le studio mythique de 300 mdont elle a pris la direction en 2018.

Un beau film noir 

C’est une immense bâtisse de bois ressemblant à la coque d’un bateau à l’envers, avec de larges baies vitrées face nord. "Mon père disait : la photographie est comme une sculpture par la lumière, et celle du Nord est la  plus belle'", commente Fiammetta. L’intérieur a la forme d’une nef. Frank Horvat avait tout peint en noir, y compris les rideaux et le mobilier, peut-être pour le développement en argentique des photos. "Le matin, se réveiller avec ce noir le rendait  très heureux", se souvient-elle.

Chaque meuble était monté sur roues. Il adorait les objets roulants, y posait ses appareils et les utilisait comme plateaux de travail. Fiammetta raconte tout cela avec beaucoup d’émotion, consciente de la valeur d’un lieu chargé d’histoire et de poésie. Elle aimerait, avec ses frères, ouvrir un lieu pour la photographie, dans ce quartier de Silly-Gallieni, afin d’y accueillir expositions et performances. Le studio abrite déjà une salle-musée, où sont entreposés plus de 300 clichés signés d’autres noms que celui de Frank Horvat.

On peut imaginer pouvoir y trouver des images de Marc Riboud ou de Jeanloup Sieff, les amis des beaux jours, ou de l’idole Henri Cartier-Bresson, que Fiammetta se rappelle avoir croisé probablement à Boulogne-Billancourt, "un homme très intimidant" pour la petite fille qu’elle était et pour son père aussi, un artiste dont chaque remarque avait "valeur de verdict". La Maison célébrerait la mémoire de Frank Horvat et de cette noble discipline qu’il contribua à forger. "Le but n’est pas de lui dédier un mausolée, ce qui serait peu productif, mais je veux encourager la photographie contemporaine, les jeunes artistes", affirme Fiammetta.