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L'incroyable histoire boulonnaise de trois grands maîtres de l’accordéon

La pratique de l’accordéon est aujourd’hui plus vivante que jamais à Boulogne-Billancourt et ce depuis le début des années 60 et ce grâce à Joss Baselli, Gus Viseur et Richard Galliano, trois grands maîtres de l’accordéon.

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Joss Baselli, accordéoniste virtuose, mort prématurément à quelques jours de ses 56 ans en 1982, repose au cimetière Pierre-Grenier. Avec sa jeune épouse Josette, il s’installa au début des années 60 rue Gambetta. Josette y habite toujours aujourd’hui. Elle n’est autre que la fille de Gus Viseur, figure historique du piano à bretelles et… qui vécut aussi quelques années à Boulogne-Billancourt, à l’angle du boulevard Jean-Jaurès et de la rue Gallieni. Pour que l’histoire soit plus belle encore, le tout jeune Richard Galliano, star planétaire de l’accordéon, vint aussi emménager rue Gambetta, au plus près du grand Joss, dans les années 70. Dans cet incroyable jeu de filiation musicale, Pascal, 66 ans, percussionniste de haut niveau, fils unique de Joss et Josette, petit-fils de Gus Viseur, fait office de passeur de mémoire. Il habita Boulogne-Billancourt, et pour cause, pendant de très nombreuses années, y déménagea rue Saint-Denis avant de s’éloigner, mais pas trop. Demeurant dans l’Est parisien, chaque semaine ou presque, il vient rendre visite à sa maman, aujourd'hui âgée de 85 ans. Ainsi commence une étonnante saga ayant pour épicentre Boulogne-Billancourt et qui nous replonge au début des années 60 dans une ville où la pratique de l’accordéon est aujourd’hui plus vivante que jamais. Alors que Vincent Peirani est attendu en mars à La Seine Musicale, la classe d’accordéon du conservatoire fêtera en avril ses dix ans d’existence.

Interviews de Pascal Baselli et Richard Galliano

Évoquons très brièvement la disparition de Joss Baselli. Pascal, son fils, alors jeune batteur, l’accompagne sur scène à Mâcon, le 5 septembre 1982, quand le grand accordéoniste est terrassé par un infarctus. Pascal verra son papa partir sous ses yeux. Par fidélité, Serge Reggiani engagera Pascal à la batterie, d’abord pour 10 galas, pour ne pas lui «  mettre la pression  ». Le fiston restera, vingt et un ans durant, avec ce monument de la chanson et du cinéma.

BBI : Quels souvenirs gardez-vous du Boulogne de votre enfance ?

Pascal Baselli : Mes parents se sont mariés en 1955, ils se sont installés à Boulogne-Billancourt en 1961. Ils avaient acheté l’appartement sur plan et n’ont jamais déménagé. Élève à l’école de la rue Fessart, je me souviens qu’on allait chercher des œufs à la ferme, rue ClaudeMonet, les fermiers allaient faire brouter les vaches au bois de Boulogne, c’était un autre monde (il rit).

BBI : Vous avez grandi et pris conscience que votre papa était un grand musicien…

P. B. : Mon papa… et mon papy ! Quand je raconte à des amateurs de musique que mon père était Joss Baselli et mon grand-père, Gus Viseur, ils me rétorquent: «  Oui, c’est ça, et moi, je suis la reine d’Angleterre!  » Et c’est pourtant vrai. L’histoire de mes parents est étonnante. Papa, jeune accordéoniste, était descendu de Somain, dans le Nord, pour rencontrer Gus, à Paris, qui était une sorte de dieu vivant de l’accordéon. Il arrive avec des fleurs et un gâteau, comme un bon petit gars de province, entre, et tend son manteau à une belle adolescente qu’il croyait être une employée de maison, mais non, c’était la fille de Gus. «  Vous me prenez pour une bonniche?  », lance-t-elle. Ils avaient douze ans de différence. Le soir même, Papa dit au batteur Dante Agostini : «  J’ai rencontré la femme de ma vie. » Papa repassa, cela devint sérieux au point que Gus accepta de signer une dérogation pour que maman puisse l’épouser, elle avait 17 ans. Le coup de foudre total! Je suis né deux ans plus tard. Mon grand-père adorait mon papa et réciproquement. Plus tard, Gus se rapprocha de nous en s’installant plusieurs années à Boulogne-Billancourt. Gus disait : « À l’accordéon, mon gendre sait tout faire !  »

BBI : Quelle était l’ambiance dans l’appartement de la rue Gambetta ?

P. B. : Eh bien, je me souviens que Papa… n’était pas souvent là, un courant d’air, souvent en tournée. Maman me racontait la venue de Marie Laforêt, toute sage, en jupe plissée; Guy Béart, Georges Moustaki passaient une tête de temps en temps, Omar Sharif, Nana Mouskouri, Francis Veber habitaient à deux rues. Les grands de l’accordéon venaient aussi bien sûr, Marcel (Azzola), Yvette (Horner), André (Astier)… C’était l’époque des tablées avec une bonne fondue bourguignonne ou les spécialités d’un excellent traiteur, italien bien sûr. Et puis il y eut aussi Richard (Galliano), qui montait de temps en temps manger des pâtes. Je me souviens d’un dimanche matin où papa m’emmène à un enregistrement de l’émission Discorama, avec Denise Glaser. J’avais 9 ou 10 ans. La vedette était une artiste toute vêtue de noir. L’après-midi, en matinée, je me revois à Bobino. C’était Barbara, avec papa, sur scène! Avec, en première partie, Francis Lemarque, les Frères Jacques, puis Reggiani en vedette américaine. Papa fut le premier accompagnateur de Barbara à l’accordéon. Écoutez Göttingen, c’est lui. Il lui a ensuite recommandé Roland Romanelli. Barbara a assisté à ses obsèques au cimetière Pierre-Grenier.

BBI : Joss Baselli a accompagné le ghota de la chanson. Quels artistes l’ont le plus marqué, selon vous ?

P. B. : Barbara, bien sûr, et Serge Reggiani, sans oublier évidemment «  Pat’  », Patachou, qui l’a emmené en tournée aux États-Unis, et à New York en particulier. Là, proche également des jazzmen, il en profita pour enregistrer un premier disque, L’Accordéon de Paris, qui fit fureur dans les restaurants new-yorkais. Il a décliné ensuite le principe grandes capitales, London with Love, etc. On sait peu que Papa, sous le nom de Jo Basile, a vendu près de 4 millions d’albums aux États-Unis et même dirigé les Folies-Bergère de New York.

BBI : Il y eut aussi, en France, les années télé, avec une émission phare, en 1972, Le Monde de l’accordéon, où se croisaient chanteuses, chanteurs, accordéonistes…

P. B : Il en fut le directeur artistique, dix ans durant. On peut dire (il rit) que Papa était un peu à l’époque le parrain du piano à bretelles. Il aimait les musiciens, les défendait, leur trouvait des jobs, les plaçait. «  C’était un peu l’agence nationale de l’emploi des musiciens  », m’a dit un jour Serge Lama. Qu’un musicien ait des difficultés à se faire payer par untel ou untel, et il décrochait son téléphone. Il avait du coffre, une grosse voix, ça faisait trembler les vitres. Je peux vous dire que le lendemain, le musicien était payé rubis sur l’ongle…

Richard Galliano, 73 ans, accordéoniste de renommée mondiale, habita jeune homme à Boulogne-Billancourt, rue Gambetta, à quelques marches d’escalier du domicile de Joss Baselli. Nous avons joint l'artiste sur les hauteurs de Grasse, mi-décembre, avant une tournée au Japon.

BBI : Comment, de vos Alpes maritimes natales, du conservatoire de Nice, avez-vous atterri à Boulogne-Billancourt ?

Richard Galliano : La rue Gambetta? J’étais alors tout jeune. Joss était un ami de mon père (Lucien, lui-même grand accordéoniste et professeur, ndlr). Joss m’avait repéré dans un concours et savait que je jouais aussi du trombone. Un jour, il m’appelle dans le Sud: « Richard, il faut que tu montes à Paris…  » Il cherchait un remplaçant pour partir en tournée avec l’orchestre de Franck Pourcel. Paris? Ma maman était une vraie mère poule. Joss l’a informée qu’un petit studio se libérait au rez-de-chaussée de sa résidence à Boulogne-Billancourt (où habita aussi le pianiste Jacques Loussier, ndlr). Et je me suis retrouvé comme l’oiseau au nid. Il m’a ensuite invité à le remplacer chez Serge Reggiani. Il fut aussi pour beaucoup dans mon entrée chez Nougaro, et me parraina à la Sacem. Joss était toujours pressé, comme s’il avait l’intuition que sa vie serait courte. Il passait dans mon petit studio en coup de vent, ou bien il m’appelait pour me proposer tel ou tel boulot. Je vivais un rêve car Gus Viseur n’habitait pas très loin non plus à Boulogne. Joss voulait que je le tutoie mais je n’y suis jamais arrivé. Quand il est mort, si jeune, ce fut un terrible choc.

BBI : Vous-même avez joué un rôle important en remettant l’accordéon sur le devant de la scène, Quelle place, selon vous, y occupe Joss Baselli ?

R.G. : Le rôle de Joss a été déterminant pour relancer l’intérêt de notre instrument. N’oublions pas qu’il fut le tout premier accordéoniste de Barbara. Il était proche de la chanson, du jazz, et on ignore parfois qu’il fit une énorme carrière aux États-Unis, où il a décroché un «  Oscar de la popularité  ». D’ailleurs, il a signé chez CBS, fait rare pour un accordéoniste. Joss était demandé partout, puis les yéyés ont clamé que l’accordéon était ringard. Avec le recul, je me dis que les ringards, c’était eux (il rit). J’ai eu la chance de rencontrer des musiciens importants, dont Astor Piazzolla, mais il ne se passe quasiment pas une journée sans que j’écoute Joss et Gus. Ils ont entretenu l’envie que j’avais en moi. La musique, c’est comme une médecine. Je ne crois pas trop au hasard, mais plutôt à l’aimantation, aux attirances mutuelles. Je viens de fêter mes 73 ans et quand je pense à ces jeunes années, d’un seul coup, c’est un miracle, j’ai 17 ans!

La classe d’accordéon du conservatoire fête ses 10 ans !

Quand il n’enseigne pas au CRR de Boulogne-Billancourt (et, depuis 2022, au CNSMDP de Paris), Vincent Lhermet joue dans le monde entier. Ce qui n’empêche pas le pédagogue d’avoir une autre et modeste fierté. Arrivé au conservatoire en 2014, il y a ouvert la classe d’accordéon.

C’est un privilège qui m’a été donné, celui de commencer de rien du tout et d’avoir doublé le nombre d’élèves. Je me réjouis de l’arrivée d’un second professeur, Vincent Gailly, depuis 2022 , sourit-il.

Et de se satisfaire qu’il y ait autant de filles que de garçons, et de tous les milieux sociaux. La classe compte 14 élèves, âgés de 6 à 16 ans. «  Depuis les années 2000, l’accordéon est revenu sur le devant de la scène, il se marie bien avec tous les styles et instruments  », argumente-t-il. Débutants, les plus petits sont rapidement capables de jouer des comptines et des mélodies simples. «  C’est un instrument vivant, il respire, ce qui fascine souvent les enfants qui le prennent en main, poursuit le professeur. Le son que l’on peut en tirer est propre à développer l’esprit de créativité.  » Côté répertoire, l’accordéon se repose sur des œuvres spécifiquement écrites pour l’instrument et séduit un nombre croissant de compositeurs. On joue aussi les transcriptions des maîtres (Mozart, Bach, Haendel, Scarlatti, etc.). Lhermet, originaire d’Auvergne, qui fut proche de Marcel Azzola, promeut également, faisant fi des chapelles, un «  accordéon qui danse  » et fait valser l’auditoire.

En ces temps souvent difficiles, conclut-il, l’accordéon, instrument voyageur et universel, peut vous ouvrir à une certaine forme d’optimisme. Il donne du souffle.