Paroles de boulonnais

Reine Abriat, 100 ans en chantant

La musique m’apporte une grande détente, mais aussi une intense émotion. Elle m’a toujours attirée.

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Née un 1er mars, comme Frédéric Chopin, mais elle, en 1923 à Besançon, Reine Abriat a enseigné la musique et le chant à des générations d’élèves boulonnais. La vivacité d’esprit de cette femme étonnante n’a d’égale que son insatiable curiosité.

Sa chaîne de télévision préférée ? Arte. Sa radio ? France Musique. Et elle suit les actualités. "J’ai connu les débuts de la guerre, l’année 1939. La période actuelle est de ces périodes charnières où tout peut basculer, commente Reine Abriat. Mais je garde toujours espoir. Aurais-je un autre choix à mon âge ?" Puis, elle part dans un petit rire. Reine, quoiqu’il arrive, a l’humour et l’optimisme chevillés au corps, comme les cordes de son beau piano quart-de-queue Érard trônant dans le salon. La musique et le chant – si l’on excepte sa très nombreuse famille – furent et restent les deux piliers de sa vie.

La musique m’apporte une grande détente, mais aussi une intense émotion. Elle m’a toujours attirée. Certains opéras me bouleversent.

Mozart, Beethoven, Schumann, Schubert, Debussy, Ravel, Poulenc. Reine (qui porte le prénom d’une soeur de son père, décédée trop jeune) se souvient d’une enfance bisontine où l’on "baignait dans le chant et la musique  même si papa préférait les chansons un peu plus populaires". Douée, la jeune fille suit les cours du conservatoire et reçoit aussi des cours particuliers. Ce qui ne l’empêche pas de faire les 400 coups avec sa bande de cousins. "J’étais un peu garçon manqué, j’adorais le sport", raconte-t-elle. Il faut dire que René, son papa, qui pratiquait l’escrime et le tennis, était journaliste sportif. Quand son père fut déporté*, la jeune femme – pour "ramener un peu d’argent à la maison" –, se mua elle-même en journaliste pigiste rendant compte de matchs de foot et de rugby ! Sa maman, Germaine, mère au foyer, l’encouragea : "Vis ta vie, ma fille, ce n’est pas une vie de rester à la maison !" Alors, après la Seconde Guerre mondiale, Reine est partie à Paris pour parfaire sa formation musicale. Elle enseigne au début dans les écoles de la capitale. En 1953, elle s’installe à Boulogne-Billancourt avec Michel, son mari, près de la porte de Saint-Cloud. Elle est la première résidente de l’immeuble dans l’appartement qu’elle occupe toujours aujourd’hui. Chaque matin ou presque, accompagnée, elle fait un petit tour dans le quartier, au square, parfois jusqu’à l’église, mais le centre-ville est un peu loin.

En 2014, se souvient-elle, j’avais été sollicitée par Monsieur le maire, qui m’avait remis la médaille de la famille. C’était une cérémonie très agréable.

 Elle se lève prestement du canapé, farfouille dans un meuble et murmure : "Voilà, évidemment, je ne sais plus où sont les photos… "

MES ÉLÈVES DE BOULOGNE-BILLANCOURT

La médaille n’était pas usurpée. Avec son Michel, prof d’EPS, de huit ans plus jeune qu’elle, disparu il y a quelques mois, Reine a eu quatre enfants. Auxquels s’ajoutent huit petits-enfants. Elle sourit : "Et ensuite, je ne compte plus…" Mais la professeure eut aussi d’autres enfants, des centaines, ses élèves, des petits en école primaire, des plus grands au collège, notamment à Heinrich, devenu Jean-Rostand.

J’ai connu le Boulogne-Billancourt vibrant des usines Renault, des élèves de toutes les origines et même des petits Japonais, très doués en musique. Je les aimais bien, mes élèves, j’espère qu’ils m’appréciaient auss i!

 Le secret de sa forme ? Aucun : "Je n’ai jamais fait attention à quoi que ce soit. Je n’ai jamais mangé trop de viande. J’adore les pommes de terre sous toutes leurs formes. J’avoue ma gourmandise pour le chocolat, et aussi pour la lecture." La malicieuse centenaire a un faible pour les livres scientifiques. Ce qui lui impose de chausser de fines lunettes, "car c’est écrit petit". Sur la table basse, un ouvrage sur Marie Curie, un autre sur Stephen Hawking. L’Odyssée des gènes, d’Évelyne Heyer, l’occupe actuellement.

Quand on y réfléchit bien, nous sommes tous frères, conclut la centenaire. Pourquoi sommes-nous là aujourd’hui? Je cherche. Toujours, je cherche le sens de la vie…

* 1943 : son père, résistant, est arrêté et déporté

En 1943, Reine Abriat a à peine 20 ans quand son père est arrêté par la Gestapo. Besançon a alors le statut particulier de "ville interdite". "Nous avions été dénoncés par de “bons français”", témoigne Reine, très émue. "C’est effrayant. Papa s’occupait d’une filière qui exfiltrait ceux qui voulaient filer de là. Nous étions proches de l’Allemagne et de la Suisse. J’en ai guidé aussi quelques-uns à travers les forêts. Je les rejoignais à vélo. Notre maison a été perquisitionnée. Ma sœur, déjà très malade, a elle aussi été interrogée. Moi, j’ai pris pas mal de gifles mais j’ai nié jusqu’au bout. J’étais une gamine, ils ont dû finir pas se dire que je n’en valais pas la peine…" Le père de Reine, lui, sera déporté à Buchenwald. Le camp libéré, il devra se faire soigner, longtemps, à Paris. "Il n’a pas pu rentrer à la maison avant de nombreuses années", se souvient-elle.